Voilà à peu près ce qu'elle disait : l'héritage, comme le milieu où nous avons grandi et le statut social,
sont des cartes que l'on distribue à l'aveuglette au début du jeu.
Il n'y a aucune liberté là-dedans : on se contente de prendre ce que le monde nous donne arbitrairement.
Mais, poursuivait ta mère, la question est de savoir comment chacun dispose des cartes qu'il a reçues.
Il y en a qui jouent formidablement avec des cartes médiocres,
et d'autres qui font exactement le contraire : ils gaspillent et perdent tout,
même avec des cartes exceptionnelles !
Voilà où réside notre liberté : nous sommes libres de jouer avec les cartes que l'on nous a distribuées.
Et nous sommes également libres d'y jouer comme nous l'entendons,
en fonction - là est l'ironie - de la chance de chacun, de sa patience, de son intelligence,
son intuition et son audace : vertus qui sont également des cartes distribuées au hasard au début du jeu.
Que reste-t-il donc de la liberté de choix dans ce cas ?
Pas grand-chose, selon ta mère, sauf peut-être la liberté de rire de notre situation ou de la déplorer,
de jouer ou de ne plus jouer, d'essayer plus ou moins de comprendre les tenants et les aboutissants
ou d'y renoncer, bref - nous avons le choix entre passer notre vie sur le qui-vive ou dans l'inertie.
C'est en gros ce que disait ta mère, mais avec des mots à moi. Pas les siens. Avec les siens, je n'en suis pas capable
Citation - Aos Oz
- Amos Oz Une histoire d'amour et de ténèbres , 2002